lundi 26 mars 2012

Textes du 4ème Cours de P.Y. Quiviger : La Propriété

Textes du Cours n°4
La Propriété

1/ Code civil (1804)
Art. 544. La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.
Art. 545. Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

2/ Kant, Métaphysique des Mœurs, doctrine du Droit §33
Celui qui n’exerce pas un acte de possession continu (actus possessorius) sur une chose extérieure tenue pour sienne, est regardé à bon droit comme quelqu’un qui, en tant que possesseur, n’existe pas ; car il ne peut pas se plaindre d’être lésé, tant qu’il ne s’autorise pas du titre de possesseur ; et si ultérieurement, alors qu’un autre en a déjà pris possession, il la revendique également, il ne fait que dire qu’il en a été autrefois propriétaire mais non pas qu’il l’est encore ni que la possession, malgré l’absence d’un acte juridique continu, est restée ininterrompue.

3/ Kant, Ibid. Appendice 6.
Il est absurde d’admettre que ce qui n’est pas un droit devienne finalement un droit du fait que la situation a duré longtemps. L’usage (si long soit-il) suppose un droit sur la chose : loin s’en faut que le droit privé doive se fonder sur l’usage. Ainsi l’usucapion (usucapio) en tant qu’acquisition par un long usage de la chose est en elle-même un concept contradictoire.

4/ Kant Ibid.
J’acquiers donc sans avoir à produire de preuve et sans aucun acte juridique – je n’ai pas besoin de prouver – mais j’acquiers par la loi (lege), et quoi donc ? L’immunité publique à l’égard des prétentions, c’est-à-dire la garantie légale de ma possession, venant de ce que je n’ai pas à produire de preuve et de ce que je me fonde sur une possession ininterrompue.

5/ Michel Villey, La pensée juridique Moderne. Pages 246-247.
Le fait aveuglant, capital pour l’histoire du droit (…) est que le dominium appelé par nous droit de propriété, devenu l’archétype et le modèle du droit subjectif, ne nous est pas présenté à Rome sous le qualificatif de droit. (…) on y oppose ces deux notions : « sive dominus, sive is qui jus in re habet ». (…) Le jus utendi fruendi des Romains ne signifie pas la faculté d’user et de jouir de la chose. Autrement le propriétaire détenant la pleine propriété se verrait attribuer ce jus, ce qui n’est pas le cas. (…) le jus romain [est] toujours une chose, et non la maîtrise sur une chose. (…) l’obligation, l’usufruit ou les servitudes, qui sont qualifiés de jura (…) sont des choses, des objets de commerce ; on affirme qu’un jus est sien et vous appartient, on revendique un jus aussi bien qu’une chose corporelle. (…) Le jus est le lot qui vous est attribué, c’est le résultat du partage.

6/ M. Villey, ibid.
Nous devons être sceptiques lorsque nous entendons parler quelquefois encore (…) de l’absolutisme prétendu de la propriété romaine : il se peut qu’en fait le dominium, à beaucoup d’égards, ait été le pouvoir absolu ; seulement le droit romain s’abstient de consacrer cet absolutisme, de lui donner sa garantie ; ce n’est point son office ; il ne qualifie point les puissances ; n’en fait pas des droits. Il trace les limites des domaines ; ce qui se passe sur chaque domaine, les rapports du propriétaire avec le domaine qui lui échoit, cela ne le concerne pas. La puissance absolue qu’exerce le maître romain sur sa chose, ce n’est point du droit, c’est le silence, ce sont les lacunes du droit. Il n’y a pas, en droit romain, de définition du contenu du prétendu droit subjectif de propriété.

7/ Rousseau Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.
Le premier qui ayant enclos un terrain, s’avisa de dire, ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs, n’eût point épargnés au Genre-humain celui qui arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables. Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; Vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la Terre n’est à personne.

8/ Rousseau Ibid.
Il s’élevait entre le droit du plus fort et le droit du premier occupant un conflit perpétuel qui ne se terminait que par des combats et des meurtres.

9/ Rousseau Ibidem.
Telle fut, ou dut être l’origine de la Société et des Lois, qui donnèrent de nouvelles entraves au faible et de nouvelles forces au riche, détruisirent sans retour la liberté naturelle, fixèrent pour jamais la Loi de la propriété et de l’inégalité, d’une adroite usurpation firent un droit irrévocable, et pour le profit de quelques ambitieux assujettirent désormais tout le Genre-humain au travail, à la servitude et à la misère.

10/ Locke, Le Second Traité du Gouvernement V, §27.
Bien que la terre et toutes les créatures appartiennent en commun à tous les hommes, chaque homme est cependant propriétaire de sa propre personne. Aucun autre que lui-même ne possède un droit sur elle. Le travail de son corps et l’ouvrage de ses mains, pouvons-nous dire, lui appartiennent en propre. Il mêle son travail à tout ce qu’il fait sortir de l’état dans lequel la nature l’a fourni et laissé, et il y joint quelque chose qui est sien ; par là il en fait sa propriété. (…) ce travail étant indiscutablement la propriété de celui qui travaille, aucun autre homme que lui ne peut posséder de droit sur ce à quoi il est joint, du moins là où ce qui est laissé en commun pour les autres est en quantité suffisante et d’aussi bonne qualité.

11/ Locke Ibid, §29.
Celui qui se nourrit des glands qu’il ramasse sous un chêne et des pommes qu’il cueille sur les arbres de la forêt se les est certainement appropriés. Personne ne peut nier que cette nourriture soit à lui. Je demande donc à quel moment elle devient sienne ? Quand il la digère ? quand il la mange ? quand il la fait cuire ? quand il la rapporte chez lui ? ou bien lorsqu’il l’a ramassée ? Il est évident que si le fait de la ramasser ne suffit pas à la rendre sienne, rien d’autre ne le pourra. Ce travail a mis une distinction entre elle et les choses communes. C’est lui qui y a ajouté quelque chose de plus que ce que la nature, qui est la mère commune de tout, avait fait ; par là, elle relève désormais de son droit privé.

12/ Locke, Ibid §31.
On objectera peut-être à cela que si le fait de ramasser des glands (…) donne un droit sur eux, chacun peut en accumuler autant qu’il voudra. A quoi je réponds : il n’en est pas ainsi ; la même loi de nature qui, par ce moyen, nous confère la propriété, limite également cette propriété. « Dieu nous a donné toutes choses en abondance » (I. Timo., VI, 17) c’est la voix de la raison, confirmée par l’inspiration. Mais jusqu’où nous les a-t-il données ? Pour en jouir. Dans l’exacte mesure où quelqu’un peut en faire usage avantageusement pour son existence avant qu’elles ne se gâtent, il peut alors y attacher sa propriété grâce à son travail.

13/ Locke, Ibid §37.
Quiconque employait ses peines à transformer les produits spontanés de la nature, et les modifiait d’une manière ou d’une autre en les tirant de l’état où la nature les avait mis et en y annexant son travail, celui-là acquérait par là une propriété sur toutes ces choses. Mais si celles-ci se gâtaient entre ses mains, sans servir comme elles l’auraient dû, si les fruits pourrissaient ou si la venaison se putréfiait sans qu’il ait pu les consommer, il péchait contre la loi commune de la nature et méritait d’être puni ; il empiétait sur la part du voisin, car il n’avait aucun droit au-delà de ce dont il était en mesure de faire usage, et qui pouvait servir à lui procurer une vie commode.

14/ Marx
La propriété de la marchandise antérieure à l’échange, c’est-à-dire la propriété d’une marchandise qu’on ne s’est pas appropriée par le moyen de la circulation, mais qui, au contraire, doit d’abord entrer dans celle-ci, a directement pour origine le travail de celui qui la possède, et (…) le travail est le mode primitif de l’appropriation. En tant que valeur d’échange, la marchandise n’est rien que produit, travail matérialisé.

15/ Marx
Le travail et la propriété du résultat de son propre travail se présentent donc comme la condition fondamentale, sans laquelle ne pourrait avoir lieu l’appropriation secondaire par le moyen de la circulation. La propriété fondée sur le travail personnel constitue donc, dans le cadre de la circulation, la base de l’appropriation du travail d’autrui. (…) Et comme (…) on ne peut acquérir de marchandise d’autrui, donc du travail d’autrui, qu’en aliénant le sien propre, le procès d’appropriation de la marchandise, antérieure à la circulation, apparaît nécessairement (…) comme une appropriation réalisée grâce au travail. (…)  La circulation montre simplement comment cette appropriation immédiate transforme, par le truchement d’une opération sociale, la propriété de son travail propre en propriété de travail social.

16/ Marx, section VII du livre I du Capital, dans l’édition allemande
la loi de l’appropriation fondée sur la production et la circulation marchandes ou loi de la propriété privée, se transforme rigoureusement, en vertu de sa propre dialectique immanente et inévitable, en son contraire. L’échange d’équivalents, qui apparaissait comme l’opération initiale, se révèle échange fictif (…). Ainsi le rapport de l’échange entre le capitaliste et l’ouvrier n’est plus qu’une apparence qui, comme telle, est propre au procès de circulation, simple forme qui est étrangère au contenu et ne fait que le mystifier. (…) Primitivement, le droit de propriété nous apparaissait comme fondé sur le travail personnel. (…) Maintenant, la propriété nous apparaît, du côté du capitaliste, comme le droit de s’approprier du travail étranger impayé ou le produit de ce travail ; du côté de l’ouvrier comme l’impossibilité de s’approprier son propre produit. La séparation entre la propriété et le travail devient la conséquence nécessaire d’une loi qui apparemment avait pour point de départ leur identité.




17/ Locke Second Traité
aucun autre homme que lui ne peut posséder de droit sur ce à quoi il est joint, du moins là où ce qui est laissé en commun pour les autres est en quantité suffisante et d’aussi bonne qualité

18/ Robert Nozik, Anarchie, État et utopie
Le fait de mettre une clôture autour d’un territoire, vraisemblablement, rendrait quelqu’un propriétaire de la seule clôture (et de la terre située juste sous cette clôture). (…) Pourquoi donc le fait de mêler son propre travail à quelque chose rendrait la personne propriétaire de ce quelque chose ? (…) pourquoi est-ce que le fait de mêler ce que je possède à ce que je ne possède pas devient une façon de perdre ce que je possède plutôt qu’une façon de gagner ce que je ne possède pas ? Si je possède une boîte de jus de tomate et que j’en verse le contenu dans la mer, de telle façon que ses molécules (rendues radio-actives, ainsi je peux vérifier la chose) se mélangent de façon égale à travers toute la mer, est-ce que j’en viens par là à posséder la mer ou est-ce que j’ai, de façon stupide, perdu mon jus de tomate ?

19/ R. Nozik Ibid.
Si le fait que je m’approprie l’ensemble d’une certaine substance viole la clause telle que l’a établie Locke, alors il en va de même du fait que je m’en approprie un peu et que j’achète tout le reste aux autres qui l’ont obtenue sans violer, par ailleurs, la clause restrictive de Locke. Si la clause exclut le fait que quelqu’un s’approprie toute l’eau potable du monde, cela exclut également le fait qu’il l’achète toute entière.

20/ R. Nozik, Ibid.
Quelqu’un peut voir sa situation se détériorer de deux façons en raison de l’appropriation par quelqu’un d’autre : premièrement, en perdant la possibilité d’améliorer sa situation par une appropriation particulière ou une autre ; et deuxièmement, en n’étant plus capable d’utiliser librement (sans appropriation) ce qu’il pouvait utiliser antérieurement.

21/ R. Nozik . Ibid
Entre quelqu’un qui s’empare de toutes les ressources publiques, et quelqu’un qui s’arrange pour que ses ressources totales soient des substances que l’on peut aisément obtenir, il existe quelqu’un qui s’approprie les ressources totales de quelque chose d’une façon qui n’en prive pas les autres ; par exemple, quelqu’un trouve une nouvelle substance dans un endroit très lointain, il découvre que cette substance guérit efficacement une certaine maladie et s’en approprie les ressources totales. Il ne détériore pas la situation des autres ; s’il n’était pas tombé par hasard sur cette substance personne d’autre ne l’aurait fait, et les autres resteraient sans pouvoir s’en servir.






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