mercredi 21 mars 2012

Textes du 1er Cours de P.Y. Quiviger ; Jusnaturalisme et positivisme juridique

Voici les textes que M. P.Y. Quiviger va citer dans son cours :

Textes du cours 1 de P.Y. Quiviger :

Par « jusnaturalisme », j’entendrai le courant qui admet la distinction entre droit naturel et droit positif, et qui soutient la suprématie du premier sur le second. Par « positivisme juridique », j’entendrai celui qui n’admet pas cette distinction et affirme qu’il n’existe pas de droit en dehors du droit positif.
Noberto Bobbio. Essais de théorie du droit (Bruylant/LGDJ, p. 39)


L'Athènes du VIème siècle avant Jésus-Christ avait été le lieu d'une extraordinaire valorisation de la loi. Dans une vision du monde pessimiste, illustrée par la sombre peinture de l'âge de fer chez Hésiode, le règne de la loi apparaissait comme un refuge contre les aléas du monde naturel. Mais, dans le même temps, la philosophie des "Physiciens" ioniens avait montré que la nature n'était chaotique qu'en apparence et qu'elle recelait en réalité un ordre rationnel, qu'il s'agissait de découvrir et auquel l'homme n'avait plus qu'à se conformer. La réhabilitation de la nature devait un jour ou l'autre entrer en conflit avec la valorisation de la loi : si la loi avait été saluée comme le correctif d'une nature jugée mauvaise, elle ne pouvait être ressentie, par rapport à une nature tenue désormais pour rationnelle, que comme un artifice sans fondement. Tel fut au Vème siècle le point de vue de la plupart des sophistes, qui, en opposant la nature et la loi, entendaient par loi (nomos) tout ce qui, étant de l'ordre de la convention, non seulement s'ajoute à la nature, mais quelquefois la contredit ou l'aliène.
Aubenque "La loi selon Aristote", Archives de philosophie du droit, n° 25, p. 151.


... d'elle-même la nature, au rebours, révèle, je pense, que ce qui est juste, c'est que celui qui vaut plus ait le dessus sur celui qui vaut moins et celui qui a une capacité supérieure, sur celui qui est davantage dépourvu de capacité. Qu'il en est ainsi, c'est d'ailleurs ce qu'elle montre en maint domaine : dans le reste du règne animal comme dans les cités des hommes et dans leurs familles, où l'on voit que le signe distinctif du juste, c'est que le supérieur commande à l'inférieur et ait plus que lui.
Platon, Gorgias 426d.


A ce qu'assurent les doctes, Calliclès, le ciel et la terre, les Dieux et les hommes sont liés entre eux par une communauté, faite d'amitié et de bon arrangement, de sagesse et d'esprit de justice, et c'est la raison pour laquelle, à cet univers, ils donnent, mon camarade, le nom de cosmos, d'arrangement, et non celui de dérangement non plus que de dérèglement. Or, toi qui pourtant es un docte, tu me sembles n'être pas attentif à ces considérations : il t'a échappé au contraire que l'égalité géométrique possède un grand pouvoir, chez les Dieux aussi bien que chez les hommes. Mais toi, c'est à avoir davantage que l'on doit, penses-tu, travailler, et tu es indifférent à la géométrie!
Platon Gorgias 507e-508b.


Pour bien entendre en quoi consiste le pouvoir politique, et connaître sa véritable origine, il faut considérer dans quel état tous les hommes sont naturellement. C'est un état de parfaite liberté, un état dans lequel, sans demander de permission à personne, et sans dépendre de la volonté d'aucun autre homme, ils peuvent faire ce qu'il leur plaît, et disposer de ce qu'ils possèdent et de leurs personnes, comme ils jugent à propos, pourvu qu'ils se tiennent dans les bornes de la loi de la Nature.
Locke Traité du gouvernement civil II. Page 173 GF.


Je n'ai pas l'intention de discuter ici tous les arguments avancés par les défenseurs de la propriété privée de la terre - juristes, philosophes, économistes. Je me bornerai à remarquer dès l'abord qu'ils déguisent le fait initial de la conquête sous le manteau du "droit naturel". (...) Dans le cours de l'histoire, les conquérants jugèrent utiles d'assurer à leurs premiers titres, obtenus de vive force, une certaine sanction sociale, par le moyen de lois qu'ils imposèrent.
Marx La nationalisation de la terre Pléiade T1. Page 1476.


.. le Droit de propriété n'étant que de convention et d'institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu'il possède : mais il n'en est pas de même des Dons essentiels de la Nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis à chacun de jouir, et dont il est au moins douteux qu'on ait Droit de se dépouiller : en s'ôtant l'une on dégrade son être ; en s'ôtant l'autre on l'anéantit autant qu'il est en soi ; et comme nul bien temporel ne peut dédommager de l'une et de l'autre, ce serait offenser à la fois la Nature et la raison que d'y renoncer à quelque prix que ce fût.
Rousseau Second Discours.


Les économistes ont une singulière manière de procéder. Il n'y a pour eux que deux sortes d'institutions, celles de l'art et celles de la nature. Les institutions de la féodalité sont des institutions artificielles, celles de la bourgeoisie sont des institutions naturelles. Ils ressemblent en ceci aux théologiens, qui, eux aussi, établissent deux sortes de religions. Toute religion qui n'est pas la leur est une invention des hommes, tandis que leur propre religion est une émanation de Dieu. En disant que les rapports actuels - les rapports de la production bourgeoise - sont naturels, les économistes font entendre que ce sont là des rapports dans lesquels se crée la richesse et se développent les forces productives conformément aux lois de la nature. Donc ces rapports sont eux-mêmes des lois naturelles indépendantes de l'influence du temps. Ce sont des lois éternelles qui doivent toujours régir la société. Ainsi il y a eu de l'histoire, mais il n'y en a plus. Il y a eu de l'histoire, puisqu'il y a eu des institutions de féodalité, et que dans ces institutions de féodalité, on trouve des rapports de production tout à fait différents de ceux de la société bourgeoise, que les économistes veulent faire passer pour naturels et partant éternels.
Marx Misère de la philosophie Tome 1. Pages 88-89.

C'est de la nature que je les ai reçus, ces penchants, et je l'irriterais en y résistant ; si elle me les a donnés mauvais, c'est qu'ils devenaient ainsi nécessaires à ses vues. Je ne suis dans ses mains qu'une machine qu'elle meut à son gré, et il n'est pas un de mes crimes qui ne la serve ; plus elle m'en conseille, plus elle en a besoin : je serais un sot de lui résister. Je n'ai donc contre moi que les lois, mais je les brave ; mon or et mon crédit me mettent au-dessus de ces fléaux vulgaires qui ne doivent frapper que le peuple.
Sade 120 Journées de Sodome



Dans l’état théologique, l’esprit humain, dirigeant essentiellement ses recherches vers la nature intime des êtres, les causes premières et finales de tous les effets qui le frappent, en un mot, vers les connaissances absolues, se représente les phénomènes comme produits par l’action directe et continue d’agents surnaturels plus ou moins nombreux, dont l’intervention arbitraire explique toutes les anomalies apparentes de l’univers.
Dans l’état métaphysique, qui n’est au fond qu’une simple modification générale du premier, les agents surnaturels sont remplacés par des forces abstraites, véritables entités (abstractions personnifiées) inhérentes aux divers êtres du monde, et conçues comme capables d’engendrer par elles-mêmes tous les phénomènes observés, dont l’explication consiste alors à assigner pour chacun l’entité correspondante.
Enfin, dans l’état positif, l’esprit humain, reconnaissant l’impossibilité d’obtenir des notions absolues, renonce à chercher l’origine et la destination de l’univers, et à connaître les causes intimes des phénomènes, pour s’attacher uniquement à découvrir, par l’usage bien combiné du raisonnement et de l’observation, leurs lois effectives, c’est-à-dire leurs relations invariables de succession et de similitude. L’explication des faits, réduite alors à ses termes réels, n’est plus désormais que la liaison établie entre les divers phénomènes particuliers et quelques faits généraux dont les progrès de la science tendent de plus en plus à diminuer le nombre.
Comte Cours de philosophie positive, « Loi historique des trois états théoriques » dans la Première leçon, p. 21-22, Philosophie première, Hermann


 Une théorie physique n'est pas une explication. C'est un système de propositions mathématiques, déduites d'un petit nombre de principes, qui ont pour but de représenter aussi simplement, aussi complètement et aussi exactement que possible, un ensemble de lois expérimentales. 
Duhem La théorie physique, sa structure son objet. page 24.

L’interprétation des lois de nature, dans un État, ne dépend pas des livres de philosophie morale. L’autorité des écrivains politiques, sans l’autorité de l’État ne fait pas de leurs opinions la loi – et si vraies qu’elles soient. Ce que j’ai écrit dans ce traité au sujet des vertus morales et de leur nécessité pour procurer et maintenir la paix n’est donc pas immédiatement la loi parce que je l’ai écrit, mais parce que dans tous les Etats du monde, c’est une partie de la loi civile. En effet, bien que ce soit naturellement raisonnable, pourtant c’est par la puissance souveraine que c’est une loi.
Hobbes, Léviathan Chapitre XXVI


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